La donnée est un des prérequis essentiels à l’émergence de la Smart City. Si de nombreuses expérimentations démontrent d’ores et déjà notre capacité technique à capter, centraliser et traiter des données, il est aujourd’hui nécessaire de travailler sur l’organisation et la gouvernance des données. Les villes intelligentes ne pourront voir le jour sans une redéfinition des interactions entre les différents acteurs de la vie urbaine (privés, publics, consommateurs, citoyens).


 

Pas de ville intelligente sans partage de données en bonne intelligence

La Smart City est la transformation numérique de la ville au service du citoyen et du développement durable. Selon la CNIL, l’ambition de la Smart City est d’améliorer la qualité de vie des citadins en rendant la ville plus adaptative et efficace, à l’aide de nouvelles technologies qui s’appuient sur un écosystème d’objets et de services (1).

Cette transformation est déjà en marche dans de nombreuses villes à travers le monde et beaucoup de solutions sont déjà déployées et opérationnelles.

Quelques exemples de solutions Smart City déployées dans le monde

Bien que des solutions techniques existent, leur déploiement à grande échelle reste encore difficile à engager. Contrairement au Smart Parking de Dubaï (2), qui partait d’une feuille blanche avec peu d’acteurs à impliquer, les retours d’expérience sur des villes comme Paris ou Frankfort montrent la complexité d’amener une solution s’intégrant à des organisations et structures déjà en place. Il est alors nécessaire de clarifier les rôles et périmètres de chacun, notamment qui possède la donnée générée et qui accède à l’information.

Cette problématique de gouvernance des données (3) est aujourd’hui exacerbée par la richesse des services à inventer qui dépend directement de la capacité à croiser des données de différentes origines : bâtiments, réseaux (électricité, gaz, eau, chaleur), objets connectés (IoT) incorporé au mobilier urbain, capteurs sociaux, etc.

🔎 Exemple de cas d’usage chez les gestionnaires de réseaux urbains :
Afin d’optimiser les coûts des travaux, les gestionnaires de réseaux urbains travaillent, par exemple, à la synchronisation de leurs opérations : réaliser une seule fois un trou dans la chaussée pour changer une conduite d’eau et ajouter un nouveau câble électrique. La mise en pratique de ce cas d’usage requiert un partage d’informations (intentions de travaux) et une collaboration entre des acteurs dont les intérêts peuvent diverger.

Mais comment croiser des données brutes d’acteurs différents, et parfois concurrents, en protégeant l’accès et la propriété des données de chacun ?

La donnée, un nouveau bien commun

Une partie de la réponse repose sur le développement de l’open data et des plateformes de données.

En 2016, la loi pour une république numérique lance l’avènement du service public de la donnée et instaure la notion de données d’intérêt général (DIG). Les collectivités de plus de 3 500 habitants, ainsi que les délégations de service public (DSP) sont tenues de publier en open data l’ensemble des données non sensibles générées dans le cadre de leur mission de service public.

Certaines collectivités, plus avancées sur ces sujets, vont plus loin en intégrant dans leur démarche l’ensemble les données produites sur leur territoire. En 2018, la métropole de Rennes a inauguré un service public métropolitain de la donnée (SPMD) visant à favoriser les échanges de données entre les sphères publiques et privées : « Notre ambition est d’identifier les producteurs de données d’intérêt territorial, publiques et privées, et de partager toutes ces données pour produire ou améliorer des services publics » explique la responsable du service innovation numérique de la ville (4).

Pour répondre à ces ambitions, des projets de plateforme de données voient le jour un peu partout en France. Nous pouvons citer :

  • La solution 3DEXPERIENCity de Dassault Systèmes à Rennes
  • La plateforme MUSE, développée par Citelum, à Dijon
  • Ou encore la Plateforme Régionale d’Innovation pour les Données d’Energie (PRIDE) développé par consortium d’acteurs privés pour les régions Bretagne et Pays de Loire

Ces plateformes de données répondent au besoin de centralisation et de mise à disposition des données par un tiers de confiance. Les données restent la propriété de ceux qui les injectent et peuvent, ainsi, être partagées avec ou sans conditions. Les croisements de données brutes d’acteurs différents sont alors réalisés au sein de ces plateformes de données afin de produire des données agrégées partageables et utilisables pour développer de nouveaux services.

Le rôle central des collectivités territoriales

Pour animer cette dynamique d’ouverture et de partage de données indispensable au développement des Smart Cities, les collectivités territoriales ont un rôle déterminant à jouer. Elles doivent inciter les différents acteurs de l’écosystème à la production et au partage de données, tout en respectant la vie privée des individus, et insuffler une dynamique permettant d’innover et d’inventer des services correspondant aux besoins des citoyens.

De plus, dans ces projets de transformation numérique, les collectivités doivent veiller à garder la maîtrise des données générées face aux différents acteurs privés, notamment les géants du numérique. Dans tout accord avec un tiers, il est primordial d’étudier en amont chaque activité pour définir les données à considérer comme bien de retour. Par ailleurs, pour mettre en place certains services, les collectivités doivent parfois négocier l’utilisation de données dont elles ne sont pas propriétaires. La ville de Paris a, par exemple, dû batailler fermement pour obtenir la récupération des données des opérateurs de mobilité privé (Uber, Waze, Lime, Bird, etc.) pour sa plateforme Connected Citizens.

Ce conflit sur la gouvernance des données entre les acteurs privés et publics est aujourd’hui un frein, au cœur de nombreux débats sur le développement des villes intelligentes. C’est le cas notamment dans la ville de Toronto, sur le projet d’aménagement du quartier en friche de Quayside, sur les bords du lac Ontario (5). L’appel d’offre a été remporté en 2018 par l’entreprise Sidewalks Lab (filiale d’Alphabet Inc. et société sœur de Google). Le projet a pris plusieurs mois de retard car la compagnie américaine peine à convaincre une opposition craignant une privatisation des données et de l’espace public.

Pour mener à bien ces nouveaux défis, les collectivités ont donc besoin de muer pour assurer une nouvelle fonction de pilotage stratégique de la donnée locale. Elles vont pour cela devoir :

  • Acquérir de nouvelles compétences techniques et maîtriser les outils digitaux
  • Réorganiser leurs équipes pour permettre plus de transversalité entre les métiers
  • S’ouvrir à la culture de l’expérimentation
  • Créer des relations partenariales avec l’ensemble des acteurs de son territoire

Une fois la dynamique de collaboration mise en place entre acteurs privés et publics, il faudra également veiller à l’implication des citoyens dans cette formidable transformation des villes. Comme l’explique la CNIL dans un rapport sur les villes intelligentes (6), la Smart City n’existera pas sans smart citizens, c’est-à-dire sans placer l’humain au cœur du système.