Parmi les objectifs de la récente loi de transition énergétique, se trouve la lutte contre la précarité énergétique. Alors que des tarifs sociaux réduisent déjà les factures d’électricité et de gaz des ménages les moins aisés, ils devraient dès 2018 être remplacés par un « chèque énergie », déjà expérimenté dans quatre départements français. Pourquoi ce changement ? Quelles en sont les conséquences ? Quelle est l’efficacité du dispositif ?

Des tarifs sociaux au chèque énergie : vers un nouveau dispositif d’aide aux ménages

La loi de transition énergétique pour la croissance verte adoptée en 2015 prévoit de remplacer les tarifs sociaux du gaz (Tarif Spécial de Solidarité – TSS) et de l’électricité (Tarif de Première Nécessité – TPN) existant depuis 2005 par un « chèque énergie »(1). Les tarifs sociaux offrant une réduction sur les factures seront remplacés par l’attribution, sous condition unique de ressources, d’un titre de paiement envoyé au début d’une année fiscale. Ce chèque énergie permettra de régler des dépenses d’achat d’énergie ou de rénovation énergétique du logement.

Si le chèque énergie n’est pas encore distribué sur l’ensemble du pays, il fait actuellement l’objet d’une expérimentation pour l’année 2016 dans quatre départements (l’Ardèche, l’Aveyron, les Côtes-d’Armor et le Pas-de-Calais). Sa généralisation sur le territoire français est prévue pour le début de l’année 2018. Les différences principales entre ce nouveau dispositif et celui des tarifs sociaux sont synthétisées dans le tableau ci-dessous.

Un dispositif plus équitable pour les ménages…

Le dispositif du chèque énergie découle d’une proposition du Médiateur National de l’Energie (MNE)(2) visant à répondre à plusieurs constats de dysfonctionnements ou d’inégalités liés aux tarifs sociaux :

  • Complexité de mise en œuvre du dispositif: les fournisseurs d’énergie doivent combiner les données de fiscalité et d’affiliation sociale pour déterminer les usagers bénéficiaires. Le MNE constate fréquemment des erreurs d’attribution ou de non-attribution. Cette complexité doit être par le chèque énergie
  • Iniquité de l’attribution des aides: les tarifs sociaux ne sont pas applicables à l’ensemble des achats d’énergie. Ils laissent de côté les foyers qui se chauffent au bois, au fioul ou encore grâce à un réseau de chaleur. Les foyers abonnés à la fois au gaz et à l’électricité peuvent en outre être doublement bénéficiaires en comparaison de ceux qui ne consomment que de l’électricité
  • Incomplétude de l’assiette des aides: les tarifs sociaux ne s’appliquent qu’aux achats d’énergie et non à la rénovation énergétique des logements, qui permet pourtant de réduire à long terme les factures des foyers concernés

Le palier de revenus retenu pour le chèque énergie vise en outre à toucher davantage de foyers, dans un contexte de crise économique et d’une projection de croissance à long terme des prix des énergies(3). En somme, le dispositif du chèque énergie poursuit la double ambition d’étendre les aides à l’accès à l’énergie et d’intégrer une vision plus globale du chauffage des bâtiments.

 

… mais des répercussions encore floues pour les fournisseurs et les usagers

Sur le plan financier, aucun texte de loi ne précise à ce jour quels fonds seront mis à profit pour compenser les dépenses liées au dispositif. Celles-ci estimées à 600M€, sont deux fois plus élevées que les 300 M€ affectés en 2014 aux tarifs sociaux(3). Ces derniers étaient (et sont toujours) compensés par les Contributions au Service Public de l’Electricité (CSPE) et au Tarif Spécial de Solidarité du Gaz (CTSSG)(4) à travers les factures des consommateurs. Les fournisseurs ont ainsi la garantie d’être intégralement remboursés des pertes financières et des coûts de gestion associés.

L’émission et la gestion du dispositif du chèque énergie étant assurées par un organisme public (l’Agence de Service et de Paiement-ASP), les coûts de la mesure ne peuvent plus être reportés sur les contributions touchées par les fournisseurs. De plus, l’ouverture du dispositif aux autres énergies rend inéquitable son financement par les seuls abonnés à l’électricité et au gaz. Pour pallier ces problèmes, l’ADEME conseillait en 2013 la création d’un fonds commun à toutes les énergies(3) : les mécanismes possibles d’abondement n’ont pas été définis. À ce stade, la solution provisoire retenue est celle d’un complément issu du budget de l’Etat et s’ajoutant à la CSPE et à la CTSGG. Le rôle futur des fournisseurs de gaz et d’électricité dans le financement des aides est donc incertain.

Enfin, d’un point de vue organisationnel, le chèque énergie fait apparaître un nouvel intermédiaire entre fournisseurs et usagers à travers l’ASP. Les fournisseurs perdent ainsi la connaissance qu’ils avaient des ayant droit aux tarifs sociaux, ce qui peut mener à davantage de difficultés à les identifier de leur côté. Les conséquences sont très concrètes : si les tarifs sociaux garantissent le maintien de la puissance fournie pendant la trêve hivernale en cas d’impayés, les bénéficiaires du chèque énergie doivent se faire connaître des fournisseurs pour y avoir droit. Les risques de coupure deviennent plus importants.

 

Quelle efficacité de la mesure ?

Alors que le nouveau système est pensé pour être plus simple, il s’appuie sur l’utilisation volontaire du chèque par les abonnés : les aides ne sont plus automatiques. L’expérimentation en cours montre que ce fonctionnement peut constituer un obstacle à l’atteinte des objectifs d’accroissement du nombre de foyers aidés : moins de la moitié des bénéficiaires l’ont effectivement utilisé à la fin de l’année 2016(5).

Notons bien que l’expérimentation a pour objectif de permettre l’amélioration du dispositif par l’analyse des dysfonctionnements. Ces premiers écueils montrent qu’il faudra se pencher en particulier sur les canaux de communication pour expliquer le fonctionnement du chèque aux usagers, puisqu’ils ne semblent pas efficaces. Plus largement, l’évaluation devrait examiner les retombées réelles sur le confort des usagers aux revenus les plus faibles. En effet, si le chèque énergie est attribué à davantage de foyers, sa valeur peut baisser en comparaison des tarifs sociaux, notamment pour ceux qui bénéficiaient à la fois du TPN et du TSS. Il faudra donc veiller à ce que ce changement n’accroisse pas les difficultés des plus vulnérables.

 

Notes et références :

  1. Décret n° 2016-555 du 6 mai 2016 relatif au chèque énergie
  2. Rapport d’activités annuel 2015 du Médiateur National de l’Energie
  3. Rapport d’audit sur les tarifs sociaux de l’énergie, ADEME, Juillet 2013
  4. Si la CTSSG est entièrement dédiée au financement du tarif social du gaz, la CSPE recouvre d’autres objectifs (financement des énergies renouvelables et de la péréquation tarifaire en particulier). Depuis janvier 2016, la CTSSG est intégrée à la taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN) et la CSPE est incluse dans la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) qui a finalement été renommée CSPE
  5. Chèque énergie: utilisé par moins d’un bénéficiaire sur deux – Energie 2007 – site de la FNCCR

 

Zélia HAMPIKIAN, SpinPart, Management Consulting, Energie, Utilities & Environnement