La loi pour la libéralisation du marché de la pièce captive a été adoptée le mardi 18 juin 2019 par l’Assemblée Nationale. Ce projet fait suite aux annonces faites début mars par le Premier Ministre Edouard Philippe à l’occasion des 10 ans de l’autorité de la concurrence.

La commercialisation des pièces captives est aujourd’hui sous contrôle exclusif des constructeurs, ce qui en fait un vecteur de marge importante pour ces derniers et leurs réseaux. La libéralisation de ce marché ouvre donc la voie à un bouleversement des hiérarchies parmi les acteurs, en mettant en concurrence le canal constructeur et le canal indépendant.


 

Les pièces de rechange : un poids significatif dans le budget des ménages

L’automobile est un poste de dépense important pour les ménages français. Si l’on prend en compte l’ensemble des postes de coûts (achat, entretien, carburant, assurance, financement, contrôle technique, etc.) c’est environ 6 000 € qui sont dépensés par les ménages chaque année.  Dans ce contexte, une question se pose : l’ouverture du marché de la pièce captive viendrait-elle faire jouer les vertus d’un mécanisme concurrentiel permettant ainsi de réduire le prix des pièces et donc celui du budget lié à l’entretien des véhicules ?

Pièces captives et pièces concurrencées : quelles différences ?

En 2017, la commercialisation des pièces de rechange a généré un chiffre d’affaires de 13,2 milliards d’euros en France soit 59 % des 22,5 milliards d’euros générés par l’ensemble de l’après-vente automobile.

Ces pièces de rechange peuvent être séparées en 2 catégories :

Du fait de la situation d’exclusivité pour la vente des pièces captives, les constructeurs peuvent fixer les prix sans aucune concurrence et ainsi générer des marges significatives sur ces pièces. Loin d’être marginal, cet élément constitue un vecteur de rentabilité important pour les constructeurs et leur réseau. Les acteurs du canal indépendant subissent cette exclusivité sous la forme d’une dépendance totale au constructeur : en effet, étant l’unique fournisseur du marché, il est en mesure de fixer les contraintes commerciales qu’il souhaite sur les pièces captives. 

A l’inverse, sur les pièces concurrencées, les acteurs du canal indépendant proposent un large catalogue de références et des prix plus attractifs. Du fait des contraintes légales sur les pièces captives, leur catalogue de références se trouve réduit et ils ne peuvent donc pas couvrir tout le marché.

Des impacts sur l’ensemble des acteurs

À travers cette loi, le gouvernement met en place ce qui avait été annoncé début mars : une réduction progressive des prix sur les pièces captives, d’abord sur les phares, les vitres et les rétroviseurs puis sur les pièces de carrosserie. Avec l’ouverture du marché à la concurrence, il deviendra envisageable de trouver des pièces captives commercialisées par d’autres acteurs que les constructeurs. À court terme, les prix de ces pièces seront donc susceptibles de diminuer. Face à cette baisse, les constructeurs seront probablement amenés à réduire les leurs pour préserver leur part de marché.

Il est donc probable que la facture du propriétaire du véhicule soit réduite, comme escompté par le gouvernement. Toutefois, cette baisse est à nuancer.

Du fait de leur nature, les pièces captives sont principalement utilisées pour des réparations liées à des chocs ou des accidents, généralement pris en charge par les assurances. En effet, près de 85 % du chiffre d’affaires généré par les carrossiers est pris en charge par les assureurs. Le gain pour les propriétaires de véhicule sera donc indirect et probablement moindre que celui dont bénéficieront les assureurs.

Dans cette perspective, les acteurs impactés par cette évolution règlementaire pourraient être :

  • Les constructeurs qui verraient une importante source de revenus menacée et devraient alors mettre en place des stratégies adaptées pour y faire face
  • Les distributeurs indépendants et les équipementiers qui pourraient élargir leur catalogue de références
  • Les réseaux de MRA indépendants (Mécaniciens Réparateurs Automobiles) qui auraient l’opportunité d’élargir leurs services et d’attirer des clients au détriment des réseaux de constructeurs
  • Les assureurs et les assurés qui pourront apprécier une diminution du montant des factures de réparation et si possible une diminution des primes

Les constructeurs doivent s’adapter face à ces changements

La remise en cause du monopole des pièces captives en France fait peser une menace sur la rentabilité des constructeurs dans le cadre de ces activités. Dans le même temps, ils sont soumis à un environnement en pleine mutation, nécessitant de lourds investissements et générant de fortes incertitudes : décarbonisation de la gamme, digitalisation et évolution des usages, etc.

Face à ces enjeux les constructeurs doivent agir pour maintenir une part de marché significative sur leurs activités d’après-vente. Si ces derniers disposent d’un avantage naturel durant la période de garantie, pour le reste, ils devront travailler avec leurs réseaux pour se transformer ensemble. De nombreuses innovations ont déjà été lancées pour améliorer le service et l’expérience client (ex : prise de rendez-vous & devis en ligne, réduction du temps de prise en charge grâce au digital, etc.). Il s’agit aussi d’améliorer le niveau de service en travaillant sur une amélioration de la logistique pour la distribution de leurs pièces de rechange afin d’atteindre un haut niveau de satisfaction client.

Les constructeurs ont bien commencé à se mettre en ordre de marche pour s’adapter à ces évolutions en travaillant sur l’amélioration de l’expérience client tout en assurant une refonte de la distribution de pièces de rechange. Ce n’est qu’un début de transformation. Il s’agit maintenant de continuer à consolider leurs positions pour contrer le potentiel développement des acteurs indépendants sur ce segment de marché.