C’est le nom du nouveau perturbateur mondial, le COVID-19. En plus de la crise sanitaire dramatique, il a mis en quelques semaines, l’économie mondiale à l’arrêt.

Le modèle industriel des années 1980-2010, qui a fragmenté les chaînes de valeur à l’échelle de la planète, pour profiter d’une main d’œuvre moins chère, montre alors ses limites : un événement qui survient en Chine, considérée comme « l’usine du monde », peut créer une rupture d’approvisionnement pour les entreprises ou les consommateurs des pays développés. Et le risque n’est pas uniquement lié aux pandémies… On peut facilement imaginer que les futures tensions géopolitiques ou catastrophes naturelles viendront perturber les flux logistiques mondialisés.

De nombreux experts l’affirment : “Il y aura un avant et un après cette crise”. De son côté, le gouvernement français a largement communiqué sur sa volonté de relocaliser des industries sur le sol européen. En plus d’une demande croissante à consommer, produire local et privilégier les circuits courts, cette crise va accélérer les relocalisations sur le territoire de l’Union Européenne.

Le changement peut-il avoir lieu ? Quels sont les enjeux de la “souveraineté industrielle” ?

Une Supply Chain ultra dépendante de la Chine

La dépendance aux filières installées en Asie est très forte. Selon le rapport 2020 du commerce extérieur, la Chine est, derrière l’Allemagne, le principal fournisseur de la France avec 9% des importations (53,8 Md€). En 2019, une forte hausse observée en Asie (+5,3 Md€, un record) rend la France davantage dépendante des chaînes d’approvisionnement chinoises.

Les entreprises du domaine de la santé illustrent parfaitement cette situation : la Chine représente à ce jour le plus gros exportateur de masques vendus dans le monde avec 80% du marché. Les ruptures de stock actuelles que connaissent les hôpitaux, pharmacies et plus globalement toutes les entreprises françaises ont pour cause deux facteurs : l’explosion de la demande en Chine pour répondre aux besoins des services de santé puis des citoyens ainsi que la forte diminution de l’offre, se caractérisant notamment par l’arrêt des usines de production chinoises en début d’année.

Pourtant en 2009, l’État français détenait 1 milliards de masques chirurgicaux. Ce stock a finalement fondu pour atteindre 150 millions en 2020 à cause des restrictions budgétaires et la supposée fiabilité de la chaîne d’approvisionnement (à titre de comparaison les masques de protection FFP2 sont passés de 723 millions à 0 stock). Il est alors légitime de se demander si les stocks de sécurité ont été correctement dimensionnés et si le caractère stratégique de ces produits a été intégré dans les méthodes d’approvisionnement.

Autre exemple, près de 40% des médicaments vendus sur le marché européen sont produits hors de l’UE, et 80% des producteurs de principes actifs de nos médicaments sont produits en dehors de l’Union Européenne, notamment en Chine et en Inde. Cette situation qui dure depuis des décennies peut amener, en cas de crise majeure à des ruptures d’approvisionnement de médicaments. Bruno Bonnemain, membre de l’Académie de pharmacie rappelle qu’il y a eu “entre 400 et 500 ruptures en France [en 2019], surtout pour des médicaments anciens dans des classes thérapeutiques essentielles : les anticancéreux et les antibiotiques ». Bien que les stocks soient suffisamment alimentés pour éviter la pénurie, le risque de rupture est bel et bien présent lorsque la chaîne de valeur se montrera défaillante par sa longueur et sa complexité.

Il est temps de mieux comprendre la valeur des chaînes courtes, qui sont évidemment plus faciles à gérer du point de vue du risque, et qui offrent des bénéfices en termes de proximité culturelle, de réduction des délais et d’efficacité par la réduction des intermédiaires.

Le regain industriel français est engagé depuis 2015

Au regard des 20 dernières années, il n’est pas risqué de dire que l’industrie française a connu un déclin important : en 2018, la part de celle-ci dans le PIB français n’était plus que de 11 %, contre 17% à la fin des années 1990.  Mais la tendance s’améliore et, avec un peu d’optimisme, nous sommes sans doute au début d’un mouvement de relocalisation durable. Les signaux sont là, il suffit de bien les lire …

Tout d’abord, les avantages économiques qui ont initié les délocalisations ne sont aujourd’hui plus vérifiés :

  • Les coûts de la main-d’œuvre ont été multiplié par 10 dans des pays comme la Chine
  • Le besoin de personnalisation des clients pousse la production en petites séries, à l’opposé des pratiques des grands complexes industriels d’Asie du sud-est
  • La nouvelle exigence de qualité et de protection de l’environnement est incompatible avec une fabrication dans les économies émergentes

Ensuite, nous voyons certains indicateurs repasser dans le vert : le solde de création d’usine sur le territoire français est positif depuis 2016. Selon un recensement de L’Usine Nouvelle en 2019, 70 usines ont ouvert leurs portes, 45 ont réalisé des projets d’extension et “seulement” 40 sites ont fermé.

La crise actuelle sera-t-elle un accélérateur ?

Lors d’un déplacement dans une usine de production de masques chirurgicaux, Emmanuel Macron a répété à plusieurs reprises que la France devait être en mesure de produire ses masques pour subvenir aux besoins des services de santé. « Sur certains biens produits, le caractère stratégique impose d’avoir une souveraineté européenne. Mais il faut aussi produire plus sur le sol national pour réduire notre dépendance et nous équiper sur la durée », a déclaré le chef de l’État.

Des paroles qui vont dans le sens de ce qui a déjà été annoncé par le Ministre de l’Économie sur la nécessité de « réfléchir à une réorganisation des chaînes de valeur, à une relocalisation d’un certain nombre d’activités stratégiques ».

La réponse n’est pas de tout faire chez nous, mais de relocaliser dans les domaines où il y a de l’excellence, où nous pouvons être compétitifs. Il faut se concentrer sur les produits à forte valeur ajoutée.

La clé peut aussi être de pousser l’agilité dans l’industrie, l’application concrète serait d’avoir plus d’usines à disposition, mais pas forcément des usines spécialisées dans des produits. L’actualité nous donne raison avec de nombreuses usines qui réussissent à se réorienter pour produire des masques, ventilateurs, et gels hydroalcooliques.

Nombre de discours affluent pour se prémunir à l’avenir d’une crise économique, venant soutenir les grands projets de réduction de l’impact environnemental. Les risques d’approvisionnement liés aux fournisseurs asiatiques sont à maîtriser. La France, et l’Europe plus globalement, devient un territoire propice à la réindustrialisation et à l’innovation technologique.

Les secteurs clés ?

L’état affiche sa volonté de rétablir une souveraineté industrielle sur des secteurs ciblés. Le décret Montebourg du 14 mai 2014, également appelé décret IEF (investissements étrangers en France) identifie les secteurs suivants comme stratégiques pour la France : la défense, l’énergie, l’eau, les transports, la santé publique et les communications électroniques.

Les leviers à disposition sont les investissements, les barrières tarifaires ou normatives ainsi que les subventions publiques : un bon exemple est l’initiative franco-allemande pour la création d’une filière européenne de batteries électriques. En effet, l’UE souhaite combler son retard face à la Chine, afin de réduire la dépendance des constructeurs automobiles européens. Un premier site pilote a été inauguré fin janvier à Nersac (Charente).

Les freins à une relocalisation

Outre la volonté de l’État de vouloir déplacer des sites d’entreprises privées au sein de l’UE, celui-ci fait face à un enjeu de taille : la proximité avec le marché chinois. Certaines entreprises essayent de se rapprocher de cette opportunité économique qui représente 1,3 milliards de consommateurs.
C’est le cas de l’industrie pharmaceutique pour qui la Chine est un marché de consommateurs très important, et où la France a installé en conséquence des centres de recherche et développement.

Un autre obstacle est celui de certaines matières premières où la production asiatique domine. C’est le cas par exemple des terres rares, dont 90% de l’approvisionnement est contrôlé par les chinois, alors même qu’elles sont nécessaires aux smartphones, panneaux solaires et technologies militaires. Cela contraint les entreprises de ces secteurs à exploiter les filiales chinoises.

Pour la première fois, les Supply Chain mondialisées montrent leurs limites face à une crise majeure. Au regard de la gravité des conséquences, le modèle actuel sera de toute façon remis en question : il apparaît nécessaire de repenser globalement les chaînes de valeur pour les plus rendre plus durables.

L’État a largement son rôle à jouer pour donner la direction et les acteurs privés doivent trouver l’équilibre entre les dimensions économiques, sociales et environnementales.

A court terme, nous pensons que les entreprises françaises devraient réagir pour créer ou recréer un réseau de sous-traitants performants à l’échelle locale, c’est-à-dire identifier les fournisseurs les plus pertinents, passer en revue les contrats, analyser l’ensemble des risques en réponse aux attentes et aux délais, retrouver un niveau d’exigence par des grilles d’analyse, etc… Et cette démarche doit permettre de bénéficier de coûts toujours bas ! Pas évident tant les coûts asiatiques sont compétitifs. Oui, passer cette étape signifiera sans doute une légère hausse de coût pour certains qui oseront franchir le pas. De façon pragmatique, pour baisser l’impact potentiel d’une crise sanitaire sur notre activité économique, une alternative est d’augmenter son niveau de stock à très court terme, ce qui semble pertinent. Ne verrons-nous pas apparaître des remèdes en contradiction avec les pratiques courantes de la bonne gestion d’une société ? Nous ne pouvons que conseiller aux entreprises de préparer au mieux leur redémarrage, et d’envisager une réflexion profonde sur leur chaîne de valeurs.