Depuis le démantèlement des acteurs intégrés, les activités de transport et distribution d’électricité et de gaz font régulièrement l’objet de cession pour renflouer les caisses de leur maison mère. Derniers exemples en date, National Grid Gas Distribution au Royaume-Uni et RTE dont EDF devrait céder près de 50% à la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). Pourquoi se séparer des activités qui font partie de la nouvelle stratégie des énergéticiens au côté des énergies renouvelables (EnR) et des services à l’énergie ?

Les réseaux constituent un enjeu majeur pour l’avenir des énergéticiens…

Les politiques récentes autour de la transition énergétique (LTECV en France ou Energiewende en Allemagne) conduisent les grands énergéticiens à se recentrer sur la production d’origine renouvelable, les services à l’énergie et les réseaux. En effet, leurs revenus sont souvent fixes et les risques limités.

Par exemple, ENGIE s’est fixé comme objectif d’atteindre 85% d’activités régulées ou bénéficiant de contrats de vente à long terme(1). Iberdrola ou Enel cherchent également à limiter leur dépendance et les risques liés aux prix de gros de l’énergie et aux fluctuations des marchés.

… pourtant les cessions d’activités se succèdent depuis 2010

Dès les années 1990 les Utilities verticalement intégrés en Europe ont dû séparer leurs activités de transport et distribution (T&D)(2) du reste de leurs activités ouvertes à la concurrence. En France, cela s’est traduit par la création de RTE en 2000 et d’ENEDIS en 2008. Alors que ces activités sont restées dans le domaine réglementé donc dans une situation de monopole avec des revenus fixes, les cessions se succèdent depuis plusieurs années.

Les premiers exemples ont été observés au début des années 2010 où le groupe allemand E.ON a cédé de nombreux actifs : en 2010, le réseau électrique haute tension a été vendu pour 885 M€ à l’opérateur TenneT(3), puis les réseaux de distribution de gaz en Italie (E.ON Rete)(4) et d’électricité au Royaume Uni pour ~4,7 Md€ (Central Networks repris depuis par Western Power Distribution)(5). Ces ventes s’inscrivaient dans un plan de désendettement de 15 Md€ à horizon 2013 ; notamment suite à l’OPA sur l’espagnol ENDESA en 2006 pour un montant de 55 Md€.

 

En 2013, c’est le groupe Total qui a vendu le transporteur de gaz TIGF pour 1,6 Md€ à un consortium réunissant EDF, le groupe italien Snam et le fonds singapourien GIC. Début 2015, ce même consortium cédé 10% de ses parts à Predica (Crédit Agricole Assurances)(6).

 

Depuis fin 2015, de nouvelles cessions d’activités T&D ont été annoncées : l’ouverture du capital de RTE par EDF à hauteur de 7 Md€(7), la vente du réseau de distribution de gaz en Angleterre par National Grid(8) ou encore le fournisseur SSE qui cherche à vendre un tiers de ses 50% de part dans le distributeur écossais SGN(9).

Gestionnaires de réseau de transport d’électricité en Allemagne (Sources : Bundesnetzagentur, Dena)

Gestionnaires de réseau de distribution d’électricité au Royaume Uni (Source : Ofgem)

Les investissements dans les années à venir sont colossaux…

Les réseaux, au même titre que la production d’origine renouvelable sont des activités capitalistiques : modernisation des infrastructures vieillissantes, enfouissement des lignes, numérisation du réseau (Smart Grids : supervision et télé conduite, objets connectés…) ou encore déploiement des compteurs communicants… les programmes d’investissements donnent le vertige.

Carte des projets à 10 ans – Schéma décennal de développement du réseau 2014 (Source : RTE)

C’est sans compter sur les coûts engendrés par :

  • La construction de nouvelles liaisons transfrontalières. RTE réalise pas moins de 3 liaisons respectivement avec l’opérateur italien TERNA, l’anglais National Grid ou encore l’espagnol REE
  • Les évolutions de modèles rendues nécessaires par la politique européenne de transformation du secteur de l’énergie. Celles-ci visent, entres autres, à fluidifier les échanges entre pays et faciliter l’intégration des sources de production décentralisées et/ou intermittentes (EnR)

Les propos de F. Brottes dans un entretien récent illustrent parfaitement cette situation : « Dans les cinq ans qui viennent, notre secteur va vivre plus d’évolutions qu’il n’en a connues ces cinquante dernières années. RTE doit se réinventer pour construire le réseau de demain, acteur central de la transition énergétique. Nous investissons environ 1,4 milliard d’euros par an et sur le volet numérique, nous allons consacrer de 10 à 20 % de nos investissements pour enrichir l’analyse du comportement du réseau.».

 

… et les financements difficiles à trouver dans un contexte réglementaire qui remet en question les modèles d’activité et de rémunération

La rentabilité des activités de distribution et transport, très encadrée par les organismes de régulation (ex. : la CRE via la fixation des tarifs d’acheminement TURPE, l’ATRD ou l’ATRT), est de plus en plus rognée par des mécanismes de rémunération strictes. Les gestionnaires de réseau ne doivent plus seulement acheminer de l’énergie vers les consommateurs mais intégrer des contraintes d’ordre environnementales (favoriser l’efficacité énergétique, assurer le développement des stratégies bas carbone de type MDE, productions décentralisées et EnR…) et économiques. Il ne s’agit plus d’être efficace (i.e. atteindre les objectifs) mais efficient (i.e. atteindre les objectifs avec des moyens réduits) : baisse des OPEX, prime à l’innovation…
Les réseaux sont donc « sacrifiés » par leurs maisons mères pour se désendetter

En 2015, les 25 plus grands énergéticiens du vieux continent ont affiché une perte globale de 3,5 Md€ (des gains de l’ordre de 23 Md€ en 2012) et depuis 2010, ils ont accumulé plus de 100 Md€ de dépréciations(10) : il faut donc faire des économies et se désendetter pour retrouver une capacité d’investissements dans les activités les plus porteuses et accompagner la transformation de modèle économique que cela suppose.

Bien que l’encadrement réglementaire des réseaux de transport et distribution assure des revenus fixes et réguliers, la baisse du niveau de rentabilité global concoure peut être à favoriser l’arbitrage de certains énergéticiens dans leur stratégie. La vente des infrastructures de réseaux permet de se désendetter facilement.

On peut donc s’interroger sur les effets des mécanismes de régulation et de rémunération actuels des activités de gestion de réseaux. Ceux-ci ne permettent a priori pas d’assurer un développement au service des consommateurs d’énergie en maintenant une rentabilité attractive pour les énergéticiens et leurs investisseurs. A ce titre, ENEDIS et RTE manifestent leur inquiétude par rapport à la hausse des tarifs dans le cadre du TURPE 5(11) et plusieurs opérateurs étrangers leur opposition aux mécanismes en vigueur de tarification de l’acheminement qui intègrent le financement des énergies renouvelables(12).

 

Références :

  1. ENGIE – CP du 25 février 2016
  2. 1ère directive européenne  en 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (96/92/CE), suivie d’une 2iè en 1998 pour le marché du gaz
  3. E.ON extra-high voltage transmission network acquisition by TenneT now closed
  4. E.ON sells gas network in Italy
  5. PPL rachète Central Networks d’E.ON
  6. Rapport d’activité TIGF 2015
  7. EDF va vendre la moitié de RTE à la Caisse des dépôts
  8. National Grid sale of Gas Distribution Network business
  9. SSE looks to sell stake in regional gas distribution network
  10. Les géants européens veulent changer de modèle
  11. Electricité : débat sur la hausse de tarif pour la gestion du réseau
  12. Energy chiefs call for bill levy overhaul