Alors que la « parité réseau » est présentée comme atteignable dans un futur proche pour l’énergie solaire photovoltaïque(1), évaluer la transformation du système énergétique vers un mix entièrement renouvelable, et donc décentralisé, reste un exercice complexe. Quels coûts et bénéfices globaux doivent être pris en compte ?

Transition énergétique, EnR, parité réseau : le système électrique actuel est en pleine mutation…

Le concept de parité réseau traduit l’idée d’une égalité des coûts de production d’électricité entre les énergies renouvelables et le mix énergétique aujourd’hui dominant, composé de sources centralisées de grande puissance. En 2015, l’ADEME publiait les résultats d’une étude qui montre qu’un mix électrique 100% renouvelable est réalisable à l’horizon 2050(2). Le travail de l’agence ne se limite pour autant pas à calculer le potentiel et les coûts de production renouvelable sur le territoire français et à les comparer aux projections de consommations d’énergie.

En effet, la question de la transformation du système électrique ne peut se résumer à un simple remplacement des infrastructures de production. Elle touche l’ensemble des éléments matériels et des acteurs des réseaux d’énergie : producteurs bien sûr, mais aussi consommateurs, transporteurs, distributeurs, acteurs du stockage et régulateurs.

Transformation du système électrique : d’une chaîne de valeur traditionnelle vers une organisation circulaire

L’analyse des coûts et bénéfices d’un tel changement doit donc prendre en compte la totalité des transformations nécessaires : technologies, impacts réglementaires, évolutions des usages… Un tel travail ne peut être mené simplement de manière quantitative compte tenu des données disponibles : l’ADEME le confirme d’ailleurs dans une étude plus récente sur les coûts des énergies renouvelables, qui ne prend pas en compte les coûts engendrés par la variabilité de production des énergies renouvelables ou bien encore les externalités positives comme négatives liées au cycle de vie des systèmes techniques(3). On peut néanmoins réaliser un exercice d’énumération de ces derniers et d’évaluation qualitative, à travers une lecture des grandes transformations du système électrique que sous-tendrait un tel changement.

… et doit démontrer sa maturité économique…

Le tableau ci-dessous propose une liste des éléments à prendre en compte pour mener ce travail dans le cas d’un scénario « fil de l’eau » où l’on conserverait le mix actuel (~76% nucléaire, ~6% thermique fossile, ~11% hydraulique et ~7% EnR décentralisées)(4) et dans le cas d’un mix 100% renouvelable et décentralisé. Il s’agit ainsi de considérer le cycle global de vie de l’énergie : la conception, l’exploitation et le démantèlement ou le renouvellement des moyens de production, ainsi que la construction, l’exploitation, voire la modernisation des moyens de transport, de distribution et de stockage.

Coûts globaux de la transformation vers un mix énergétique 100% renouvelable et décentralisé – analyse qualitative

Les grandes transformations du système que nous considérons pour mener cette évaluation sont de quatre ordres :

  1. Les systèmes techniques de production d’énergies renouvelables sont plus simples à concevoir, exploiter et recycler que les grandes centrales actuellement dominantes qui doivent faire face à des exigences de sûreté et de sécurité toujours plus importantes et dont certaines sont en fin de vie. Le budget évalué pour le projet dit de « Grand carénage » en atteste : 51 Md€ sur la période 2014-2025(5)
  2. Les réseaux de transport et de distribution devront être adaptés à des productions décentralisées et plus difficilement prévisibles ; c’est ici le point le plus coûteux d’une massification des énergies renouvelables. Le réseau de distribution basse tension devra être renforcé pour accepter des flux d’électricité bidirectionnels et plus importants. Au contraire, le réseau de transport qui relie les centrales aux lieux de consommation pourrait devenir sous-utilisé, ce qui ferait croître son coût d’exploitation ramené au MWh transporté. En outre, la gestion des réseaux devra être rendue plus dynamique, notamment grâce à des outils numériques coûteux (Smart Grid)
  3. L’évolution du réseau ira de pair avec un renforcement des capacités de stockage pour assurer l’équilibre du réseau. L’intermittence des énergies renouvelables peut être palliée de trois manières : grâce à leur foisonnement à l’échelle du réseau national, grâce au stockage et par compensation avec des moyens de production de pointe souvent émetteurs de CO2. En l’état des connaissances actuelles, on peut émettre l’hypothèse que cette gestion se fera par une hybridation entre le foisonnement et le stockage
  4. L’autoconsommation via des micro-grids gérés par des communautés locales se développera plus largement. Dans l’optique d’une déconnexion totale (îlotage), les consommateurs concernés n’auraient plus à supporter les coûts associés à l’exploitation des infrastructures nationales (notamment le TURPE) mais à celle de leur propre infrastructure. Cependant, cette évolution renforcerait le coût de gestion des réseaux pour les consommateurs qui resteraient connectés

De façon générale, le passage vers un système électrique 100% renouvelable et décentralisé nécessiterait une baisse importante des consommations d’électricité, comme le rappelle le scénario construit par l’association Négawatt qui vise une réduction de 50% de la consommation d’énergie finale à l’horizon 2050(6). Au-delà de la transformation du système technique en lui-même, il s’agira donc d’aller vers davantage de sobriété, d’améliorer l’efficacité énergétique et de trouver une alternative au chauffage électrique (biomasse, géothermie…).

… pour conforter ses apports environnementaux et sociétaux

On constate ainsi que l’évolution des coûts de production et des prix de marché des différentes énergies n’est pas un indicateur suffisant pour appréhender l’opportunité d’un mix 100% renouvelable et décentralisé. L’approvisionnement électrique est basé sur le fonctionnement d’un macro-système technique dont l’évolution s’appuie sur des changements bien sûr techniques, mais également réglementaires, sociaux et organisationnels qui ont tous un rôle déterminant à jouer dans la transformation. La difficulté d’évaluation des aspects économiques présage bien de la complexité au moins aussi grande de celle des aspects environnementaux et sociétaux.

 

Notes et références :

  1. Photovoltaïque : les pistes pour atteindre la parité réseau et créer des emplois, Actu Environnement, 7 janvier 2016
  2. Un mix électrique 100% renouvelable ? Analyses et optimisations, ADEME, Octobre 2015
  3. Coûts des énergies renouvelables en France, ADEME, décembre 2016
  4. Bilan électrique 2015 – RTE
  5. Note d’information d’EDF, 19 mai 2016
  6. Scénario Négawatt 2017-2050, dossier de synthèse, Association Négawatt, janvier 2017

Zélia HAMPIKIAN, SpinPart, Management Consulting, Energie, Utilities & Environnement