Les choix énergétiques passés ont permis à la France, jusqu’à maintenant, d’être indépendante et compétitive sur le marché de l’électricité, tout en réduisant son empreinte carbone. Aussi, beaucoup d’usages se sont alors tournés sur cette source d’énergie. Aujourd’hui, nous assistons à une augmentation constante de la consommation électrique à la pointe alors même que l’augmentation de la consommation moyenne en énergie tend à diminuer. Le profil de consommation en période de pointe devient problématique car il rend l’approvisionnement plus complexe et risqué. Comme à chaque période de grand froid, nous entendons parler de black out.

Le marché de capacité a pour ambition de sécuriser l’approvisionnement en électricité en période de pointe, en obligeant les fournisseurs d’électricité à garantir leur capacité d’approvisionnement du réseau : « Le décret n° 2012-1405 du 14 décembre 2012 définit l’organisation générale de ce nouveau dispositif. » (1) (2)

Un réseau électrique de plus en plus complexe à équilibrer…

La transition énergétique de la France ne pourra être un succès que si le système électrique est en mesure de s’adapter aux problématiques actuelles, à savoir :

  • Le phénomène de pointe tend à s’intensifier. En effet, la pointe a progressé de 10 000 MWh en moyenne depuis 2001, avec des écarts pouvant aller jusqu’à 22 500 MWh les années les plus froides(3)
  •  Le développement des énergies renouvelables (EnR) augmentant la part de production décentralisée et le nombre de consommateurs-producteurs dits « prosumers »

Analyse SpinPart basée sur les données RTE(3)

Ceci  a deux incidences principales :

  • Un besoin de financement des moyens de production et d’approvisionnement activés en période de pointe et des investissements à envisager afin d’apporter plus de flexibilité au réseau
  • Un besoin de régulation de la consommation en période de pointe

Il devient essentiel de responsabiliser tous les acteurs du marché afin de pouvoir relancer les investissements et sécuriser l’approvisionnement en période de pointe de consommation en faisant jouer un rôle majeur au principe d’effacement (réduction de la consommation d’un site ou d’un groupe d’acteurs sur une période donnée) lors des périodes de fortes demandes d’énergie. La mise en place d’un marché de capacité répond à ces objectifs.

 

… qui nécessite un mécanisme impliquant tous les acteurs et donnant les « bons signaux »

Le marché de capacité a pour vocation de garantir à tout moment, même en périodes de pointe, l’équilibre entre la demande et la production d’électricité, sans impacter le fonctionnement quotidien du réseau, sachant que la consommation électrique française est fortement dépendante des températures.

Ainsi, depuis le 1er janvier 2017, en France, les fournisseurs d’électricité doivent justifier que leur capacité d’approvisionnement est suffisante pour répondre aux besoins de leurs clients à tout instant. Ils, ils ont pour obligation d’acquérir le nombre suffisant de certificats de capacité, déterminé en fonction de la consommation électrique de leurs clients en période de pointe, sous peine de sanction financière.

Ces certificats de capacités doivent être achetés auprès des producteurs d’énergie et opérateurs d’effacement, qui eux-mêmes se les voient attribuer, gratuitement et à hauteur de leur capacité de production (ou d’effacement), par RTE (Réseau de Transport d’Electricité) :

Ce dispositif permettra donc de répondre aux problématiques évoquées précédemment en :

  • S’assurant que les fournisseurs détiennent les obligations de garantie nécessaires, prouvant que les capacités d’approvisionnement du réseau électrique peuvent couvrir les besoins clients même en période de pointe
  • Valorisant la capacité de production installée grâce aux gains financiers générés par la vente des certificats, permettant ainsi de maintenir les investissements dans les moyens de production
  • Rémunérant les capacités d’effacement afin d’encourager la réduction de consommation en période de pointe (i.e. maitrise de la demande d’énergie dite « MDE »)

Un mécanisme avec un coût et des impacts pour les acteurs…

RTE :

Avec la mise en place de ce nouveau mode de fonctionnement RTE se voit attribuer de nouvelles responsabilités en tant que « superviseur » du marché de capacité. Le principal impact pour cet acteur sera donc organisationnel plus  que financier.

Producteurs d’électricité :

Par la vente des certificats qu’ils se voient attribuer, le mécanisme de capacité apporte des gains financiers aux producteurs. La première enchère, qui a eu lieu le 15 décembre dernier et qui a fixé le prix de la capacité à 10k€/MW, a déjà rapporté 680 M€ aux producteurs concernés.

Opérateurs d’effacement :

A l’instar des producteurs d’électricité, les opérateurs d’effacement seront en mesure de vendre leurs certificats sur le marché de capacité et donc d’avoir des retombées financières ; à condition que le prix de la capacité ne s’effondre pas comme celui du marché des quotas d’émission de CO2.

Fournisseurs :

Les fournisseurs d’électricité vont devoir justifier leur capacité de livraison en période de pointe et donc être détenteur du nombre de certificats exigés par RTE. Pour cela ils devront les acheter sur le marché de capacité, et donc subir des coûts supplémentaires. La question se pose de l’éventuelle répercussion de ces coûts sur le consommateur final.

Consommateurs :

Les impacts sont aujourd’hui difficiles à évaluer, néanmoins la prise en compte de la thermo sensibilité dans le calcul de l’obligation de capacité devrait faire peser les coûts sur les consommateurs les plus thermosensibles (clients ne pouvant s’effacer durant les périodes de pointe, correspondant aux périodes les plus froides).

L’impact sera différent suivant les clients  et fluctuera, en plus de la thermo sensibilité, en fonction de trois autres critères: le profil de consommation, la saisonnalité de la courbe de charge et le type d’offre qui induit ou non de l’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique).

Deux profils se distinguent donc :

  • Les grands consommateurs qui ne devraient pas subir de hausse financière trop importante si l’on tient compte de l’ARENH qui apporterait les obligations suffisantes à leurs fournisseurs(4)
  • Les petits consommateurs pour qui la donne est un peu différente et dont la conséquence financière est déterminée par l’écart entre le prix de la garantie de capacité et le coût de la composante capacitaire actuelle des tarifs réglementés de vente. D’après les premières estimations les coûts à supporter seraient compris entre 0,5€/MWh et 2,2€/MWh, suivant les caractéristiques des consommateurs(5)

… qui vise à favoriser le développement de l’effacement …

Le levier principal mis à disposition des clients pour tirer leur épingle du jeu dans ce marché de capacité sera de pouvoir souscrire à des offres d’effacement (proposées par les fournisseurs, comme EDF par exemple) en s’engageant à ne pas consommer durant les périodes de fortes demandes en électricité. Aujourd’hui, ces offres sont principalement destinées aux gros industriels ou aux collectivités dont l’effacement en période de pointe à un réel impact sur le réseau.

Pour les petits consommateurs, pour pouvoir contribuer à l’effacement et bénéficier des avantages financiers associés, il faudra compter sur l’effacement diffus.

L’effacement diffus consiste à stopper sa consommation sur des usages particuliers et de courtes périodes.

Pour cela, il faut installer des dispositifs qui permettent de piloter du chauffage ou du chauffe-eau sur de courtes périodes (20 minutes) en périodes de pointe. Ces dispositifs sont pilotés par un agrégateur qui va pouvoir bénéficier de(s) capacité(s) d’effacement grâce à l’effet de masse (capacité minimum = 1 MWh).

Cette méthode à l’avantage d’être quasiment transparente pour le client et permet une économie de 15% en moyenne sur sa facture d’électricité(6).

L’effet de masse assuré par l’agrégateur permet de moduler la consommation globale en électricité pendant les pics de forte demande, pouvant compenser le surcout induit par la mise en place du marché.

Aussi, ce mécanisme ouvre la voie à de nouveaux acteurs. Certains se créent en proposant des solutions sur mesure d’analyse des données de consommation (Energisme, Ubigreen, Equinov…) pour aider les consommateurs à déterminer un profil d’effacement optimisé.

… et à plus long terme des EnR pour répondre aux enjeux de la transition énergétique

Le marché de capacité est un moyen de répondre de façon économique et écologique au phénomène de pointe. Ce dernier devrait en effet se perpétuer, encouragé par la politique de réduction de l’empreinte carbone qui se caractérise notamment à travers le développement du parc de véhicules électriques.

A terme, ce marché de capacité doit aussi être en mesure de s’adapter à l’évolution du système énergétique français, pour ne plus se concentrer uniquement sur le phénomène de pointe électrique mais aussi pour aider à l’intégration et la gestion des énergies renouvelables dont l’utilisation ne cesse de progresser.

Notes et références :

  1. Mécanisme de capacité – RTE
  2. Consultation publique sur les modalités du mécanisme de capacité relevant des compétences de la CRE – CRE
  3. Bilan électrique 2015RTE
  4. Rapport d’accompagnement des règles – RTE
  5. Enchères de capacité: analyse d’Opéra énergie – Energie2007
  6. Qu’est-ce que l’effacement diffus ?– Selectra

Aymeric GUILLERMO, SpinPart, Management Consulting, Energie, Utilities & Environnement