Ouverts progressivement d’abord pour les entreprises (de juin 2010 à juillet 2004) puis pour les particuliers (en juillet 2007), les marchés de l’électricité et du gaz n’en restent pas moins dominés par les fournisseurs historiques et les tarifs réglementés de vente. Préoccupation croissante pour de plus en plus de Français, l’association de consommateurs UFC a lancé sa 3 campagne d’achats groupés d’énergie pour aider les particuliers et les petits professionnels à réduire leur facture d’énergie. Et selon les résultats du 21 septembre, le nombre d’inscrits a presque doublé par rapport à la 1ère campagne !

Comment cela fonctionne-t-il ? L’UFC est-elle seule sur le créneau des achats groupés d’énergie ? Ce concept est-il vertueux pour le secteur de l’énergie et les acteurs (consommateurs, fournisseurs) en sortent-ils tous gagnants ?

Qu’est-ce qu’un achat groupé d’énergie ?

Le concept d’achat groupé existe depuis 2000 pour le prêt à porter, les cosmétiques et les achats IT. Il a été rendu populaire par Groupon en 2008.

Basé sur l’adage « l’union fait la force »,  il s’agit de regrouper en ligne un grand nombre d’acheteurs potentiels d’un produit ou d’un service pour pouvoir négocier un prix réduit auprès des fournisseurs.

Le but ? – Obtenir les meilleurs taux de réduction par rapport aux tarifs règlementés de vente.

Le moyen ? – Inviter les consommateurs à se préinscrire pour permettre à l’organisateur de l’achat groupé de négocier auprès des fournisseurs. Plus le nombre d’inscrits est important, plus les chances d’obtenir une forte réduction sont grandes.

Il s’agit en quelques sortes d’une nouvelle forme de consommation collaborative.

Tour d’horizon des dernières campagnes, quels sont les résultats ?

Avec la libéralisation du marché, le groupement de commandes d’énergies a rapidement vu le jour pour les professionnels avec notamment les syndicats départementaux d’énergie et l’Union des Groupements d’Achats Publics (UGAP).

Depuis 2013, l’UFC avait déjà lancé deux campagnes d’achats groupés pour la fourniture de gaz naturel appelées « Gaz moins chère ensemble » (GMCE) à destination des particuliers. L’association a étendu le périmètre de la campagne 2016 en intégrant l’offre électricité sous le nouveau nom de « Energie Moins Chère Ensemble » avec l’aide de la société GPF pour l’assistance sur la partie technique.

Le mécanisme est simple : il suffit de s’inscrire sur le portail de l’UFC qui transmet une proposition à l’issue de la négociation avec les fournisseurs sur le principe de l’enchère inversée. Si le consommateur accepte le contrat, le fournisseur alternatif s’occupe de la démarche de résiliation chez l’ancien fournisseur sans frais ni action administrative supplémentaire. Quant à l’UFC, elle perçoit une participation des consommateurs ayant souscrit une offre pour couvrir les frais d’organisation de la campagne.

A l’issue de la 1ère campagne, Lampiris – le fournisseur sélectionné et le seul ayant répondu – avait été débordé par l’affluence des demandes conduisant à des retards dans la facturation, l’absence de réponse des téléconseillers. Fort heureusement, la situation a été vite rattrapée par Lampiris ; la preuve étant que selon l’UFC, 40% des inscrits ont renouvelé l’expérience pour le 2 regroupement d’achat remporté par à nouveau par Lampiris face à ENGIE (ex-GDF Suez).

Analyse SpinPart basée sur les données UFC

Le succès de ce concept est tel qu’il a donné lieu à la création des sites de comparateurs comme Selectra. Ce dernier s’est lancé dans les achats groupés continus depuis 2015 en partenariat avec des associations déclarées d’utilité publique et dernièrement avec un autre site jelouebien.com. Mais si cette alternative passe également par une pré-inscription en ligne des consommateurs, les modèles sont différents :

Analyse SpinPart basée sur les données UFC et Selectra

Une démarche vertueuse ? Tout le monde est-il gagnant ?

Si les consommateurs bénéficient de prix attractifs, quels impacts ont ces achats groupés sur les fournisseurs ? Et y a-t-il d’autres bénéficiaires ?

Pour les consommateurs des offres historiques « basiques » (T1 ou T2 en gaz et tarif bleu en options Base HP/HC en électricité), trois aspects sont à prendre en compte :

  • Un gain de pouvoir d’achat

Motivation première largement mise en avant, la réduction des dépenses des ménages est effective par rapport aux tarifs réglementés des offres « basiques ». Le gain sur la facture ne s’applique pas forcément aux contrats aménagés chez le fournisseur historique. En électricité par exemple, un consommateur en option Tempo ou EJP ne pourra pas conserver cette modularité chez un fournisseur alternatif.

En outre, les campagnes d’achats groupés ont eu un effet stimulateur sur l’évolution tarifaire générale des offres des fournisseurs durant l’opération :

  • Un encadrement juridique prévu dans l’offre de l’UFC

La sécurité juridique aux souscripteurs est le second avantage avancé par l’UFC. Elle est assurée par un cahier des charges relativement précis(1) :

  • Au moins 12% de réduction garantie sur toute l’année sur les tarifs réglementés
  • Possibilité de facturation bimestrielle sur auto-relève au lieu d’une facturation sur estimation
  • Responsabilité unique du fournisseur vis-à-vis du souscripteur pour tout problème (indépendamment de la responsabilité du distributeur vis-à-vis du fournisseur)
  • Paiement du seul montant contesté en cas de litiges sur la facture
  • Prescription de 12 mois en cas de facture non réclamée
  • Accompagnement de l’UFC en cas de litige avec le fournisseur

 

  • Une offre de service limitée

Les fournisseurs alternatifs imposent souvent une interface web pour la relation client, sans échange possible avec un conseiller clientèle : il faut ainsi avoir une certaine aisance avec l’Internet. En outre, les services liés au déménagement de type raccordement ne sont pas proposés. Ce qui confirme les résultats d’enquête menée par le Médiateur National de l’Energie (MNE) avec a minima deux fois plus de litiges chez les fournisseurs alternatifs(2).

Fort heureusement, en cas d’insatisfaction, les consommateurs ont la possibilité de revenir vers le tarif réglementé à tout moment sans pénalité ou démarche complexe.

 

Si les comparateurs et courtiers d’énergie ont beaucoup moins d’influence que l’UFC, ils n’en sont pas moins gagnants grâce à ce concept :

  • Les commissions versées par les fournisseurs partenaires leur procurent des revenus

La communication autour de ces opérations améliore leur image de marque. Selectra excelle dans ce domaine avec la médiatisation autour de la start-up et la réputation acquise comme étant LE comparateur d’énergie de référence. Ceci est rendu possible entre autres en :

  • S’associant avec d’autres organismes dont des associations reconnues d’utilité publique : pour la campagne Familles de France en 2015, Selectra a rassemblé plus de 66 000 préinscrits
  • Foisonnant les sites d’information : prix-elec.com, prix-gaz.com, monenergie.net, kelwatt.fr et selectra.info

Pour les fournisseurs d’énergie, le bilan est plus contrasté :

  • Les achats groupés profitent certainement aux lauréats qui peuvent compenser le tarif plus bas par une augmentation de leur portefeuille de clients. La question se pose en revanche de savoir si ces nouveaux clients procureront un revenu moyen (i.e. Average Revenu Per Unit-ARPU) supérieur ou inférieur à la base clients existante.
  • Pour les opérateurs historiques comme EDF (électricité) et ENGIE (gaz), l’augmentation du taux d’attrition (i.e. perte de clientèle) va probablement s’intensifier. En effet, le prix est le principal critère de choix des consommateurs(2) et les prévisions de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) sur l’évolution des prix de vente sont à la hausse(3). Ceci est dû entre autres à l’augmentation des taxes(4) (liées notamment aux investissements dans les énergies renouvelables) et à la hausse des coûts d’entretien des centrales de production (respectivement un tiers du prix de l’électricité et un cinquième pour le gaz)(5). De plus, avec la chute des cours de l’électricité et du gaz sur les marchés de gros(6), les fournisseurs alternatifs ne s’approvisionnent plus via l’ARENH (Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique).
  • Concernant les fournisseurs alternatifs (hors lauréats), la cartographie est plus complexe :
    • Ceux ayant participé et perdu : on y trouve surtout les énergéticiens « verts » ou issus des ELD (Entreprises Locales de Distribution). Ils profitent d’une belle opération de publicité pour se faire connaître du grand public. C’est probablement le cas d’Enercoop dont les prix sont supérieurs aux tarifs réglementés de vente. Pour les autres fournisseurs comme Antargaz (UGI), cela se traduit par une acquisition de nouveaux clients moindre que prévue
    • Les autres fournisseurs n’ayant pas pris part aux achats groupés : soit ces entreprises ne souhaitent pas stratégiquement baisser leurs prix, soit elles ne possèdent pas les moyens nécessaires pour répondre à la demande massive. Parmi ceux ayant indiqué ouvertement leur raisons :
      • EDF souhaite « garder le contact direct avec ses clients »(7). En effet, les participants des achats groupés ont le choix d’adresser leurs réclamations via UFC
      • ENI, Direct énergie : selon jechange.fr(8), ces deux fournisseurs ont décliné la participation aux campagnes de l’UFC car « les certaines conditions ne sont pas réunies ». Il est notamment question d’assumer ou pas la « responsabilité pleine et unique en cas de problème en termes de fourniture de gaz, mais également de distribution » jugé «contraire à la loi ». En outre, la commission de 10€ à verser à l’UFC pour chaque nouveau client semble freiner les deux fournisseurs

Comment les fournisseurs historiques peuvent-ils réagir face à ce phénomène ?

Pour l’instant, les fournisseurs historiques conservent des parts de marché significatives (avec respectivement 80% des sites particuliers en gaz et 88% en électricité)(2) et une proximité indéniable avec les collectivités locales.

Néanmoins la volonté politique et économique européenne est à l’accroissement de la concurrence. Ils devront probablement engager des actions pour légitimer leurs positions de leader et adopter une stratégie en fonction des profils clients :

  • Fidéliser leurs clients et trouver des relais de croissance via la fourniture de services
  • Reconquérir les clients partis à la concurrence dits « switcheurs »
  • Conquérir les clients des générations futures qui auront peu ; voire pas connu le marché monopolisé et pour qui électricité et gaz ne rimeront pas forcément avec EDF ou ENGIE. Ces consommateurs vont en effet peu à peu remplacer la base clients historiques qui était attachée à l’ancien EDF-GDF créé en 1946 par l’état

Pour cela, il serait pertinent de mettre l’accent sur les actions suivantes :

  • Maintenir un premium de qualité de service en se différenciant des offres de type low-cost des fournisseurs alternatifs. En effet, l’expérience client est importante et la viabilité à moyen termes de la course aux bas prix déjà utilisée dans les Télécoms est peu probable. Ces opérateurs ont aujourd’hui des difficultés à remonter le revenu moyen par client, ce qui est handicapant pour investir dans les nouvelles technologies (4G) et la modernisation du réseau
  • Exploiter leurs larges bases de données clients pour optimiser les centres d’appel et/ou de relation clients grâce à l’utilisation du Big Data dans la commercialisation des offres et produits
  • Etre innovant dans la démarche commerciale : en Australie par exemple, un énergéticien présente ses offres sous forme de « cartes prépayés » en donnant une image résolument jeune à l’énergie et au rôle du fournisseur(9)
  • Profiter des mécanismes mis en place et subventionnés par l’état : dans le cadre des Certificats d’Economie d’Energie (CEE) par exemple pour toucher de nouveaux clients en leur proposant au départ un service d’efficacité énergétique qui légitimera d’autant plus la contractualisation sur la fourniture d’énergie